SU SHI

SU SHI
SU SHI

Su Shi est souvent cité comme le type du lettré complet de l’histoire chinoise: homme politique engagé dans les luttes qui partagent ses contemporains, haut fonctionnaire puis exilé politique aux confins de l’Empire, mais en même temps esthète raffiné cultivant tous les arts de l’«honnête homme» de son temps, l’art de la conversation avec des lettrés, des moines ou des courtisanes, la musique dont il joue et qu’il apprécie, la peinture et la calligraphie où il passe pour un maître, enfin la littérature avec tous ses genres (et principalement les genres poétiques), qui est sans doute ce qui a le plus contribué à le rendre célèbre.

Un esprit libéral

Su Shi, appelé habituellement de son nom littéraire Su Dongpo, est né dans l’Ouest chinois, au Sichuan, dans un terroir de vieille culture qui forme une sorte de nation à part dans le monde chinois et qui a fourni à la Chine quelques-uns de ses plus grands poètes. Il ne naquit pas dans une ancienne et noble famille, mais dans une de ces familles, comme ce fut souvent le cas en Chine, passées en une génération de la paysannerie au mandarinat. Son grand-père était en effet un paysan illettré mais riche, ce qui lui permit de faire faire de brillantes études à son fils, Su Xun (1009-1066), le père de Su Shi. Su Xun est connu comme un lettré de talent et, avec Su Shi et le cadet de celui-ci, Su Che (1039-1112), forme le trio littéraire appelé «les trois Su». Des trois, Su Shi est, de beaucoup, le plus important.

Après de brillantes études, Su Shi et son frère passèrent ensemble les examens impériaux en 1057, le premier ayant été reçu en tête des lauréats. Le chef des examinateurs était l’un des principaux lettrés du temps, Ouyang Xiu (1007-1072). Dans les années qui suivirent, les trois Su reçurent des postes dans l’administration impériale, mais, malgré sa renommée de lettré, Su Shi commença par des fonctions secondaires, en province puis à la capitale. Quelques années plus tard, Wang Anshi (1021-1086) mettait en œuvre ses réformes et Su Shi se trouva, avec son maître Ouyang Xiu et les plus grands lettrés de l’époque, dans les rangs du parti conservateur. Cela l’empêcha de faire carrière à la capitale, mais il fut nommé vice-gouverneur de Hangzhou. Cette très belle ville non loin de la mer, avec son magnifique lac de l’Ouest entouré de collines boisées de bambous, fut un séjour heureux pour Su Shi, qui y prit part à de nombreuses «parties de plaisir» où il eut l’occasion de composer beaucoup de poèmes. Il fut ensuite gouverneur de plusieurs cités du nord au centre de la Chine, de 1074 à 1079. Sa situation personnelle n’était pas très brillante, car les salaires des fonctionnaires avaient été fortement réduits par les réformes en cours; la misère, malgré les efforts de Wang Anshi qui fut d’ailleurs écarté du pouvoir, s’était souvent accrue dans les campagnes et Su Shi chercha à venir en aide aux plus pauvres. Les poèmes de cette période sont imprégnés de tristesse. En 1079, il est brusquement arrêté, conduit à la capitale et emprisonné pour avoir «calomnié l’empereur», c’est-à-dire critiqué le gouvernement. Il craint alors d’être mis à mort, mais il est exilé à la campagne, sur les bords du Yangzi, où il cultive la terre pour vivre en même temps qu’il compose quelques-uns de ses chefs-d’œuvre. En 1086, rappelé à la cour, il devint Premier ministre, comme chef du parti des conservateurs. Malgré de vives attaques, il resta au pouvoir quelques années grâce à la protection de l’impératrice; il y défendit fermement la liberté pour tous de s’adresser à l’empereur et la lutte contre la corruption. Lassé des critiques, il obtint de quitter sa charge en mars 1089 pour remplir divers postes de gouverneur dans les provinces du Centre. Mais, en 1094, avec la mort de l’impératrice douairière et le retour au pouvoir des successeurs de Wang Anshi, Su Shi fut condamné à l’exil dans le sud de la Chine près de Canton, puis dans l’île de Hainan au climat tropical. En 1100, la mort de l’empereur lui permit de quitter ce lointain exil, mais il mourut sur la route du retour vers la capitale.

Il y eut peu d’exemples dans l’histoire chinoise d’une vie aussi mouvementée que celle de Su Shi, ce qui peut s’expliquer par quelques traits de sa personnalité. Ce fut un homme d’une grande spontanéité, franc et libre d’esprit; soucieux de bien remplir les devoirs de ses charges successives, il l’était également de venir en aide au peuple, et c’est dans la mesure où les réformes de Wang Anshi furent appliquées par un personnel politique peu préoccupé de leur efficacité qu’il s’y opposa. Tout cela lui valut évidemment beaucoup d’ennemis. Mais il était en même temps un homme simple et amical, heureux de pouvoir, avec ce qu’il fallait de vin, bavarder des heures entières avec de bons compagnons. Il fut aussi capable d’aimer: émouvante est l’histoire de cette Zhaoyun qui était une petite fille de douze ans, destinée à devenir une courtisane, lorsqu’il l’acheta, qui devint ensuite sa concubine et fut finalement la seule à le suivre dans son exil et à l’entourer de toute sa tendresse de femme très aimante et très aimée.

L’œuvre littéraire

Il s’agit bien ici de toute l’œuvre littéraire de Su Shi, et non pas seulement de son œuvre poétique, bien que celle-ci soit de beaucoup la plus célèbre. Ses écrits en prose sont en effet nombreux et quelques-uns sont restés fameux. Il écrit une langue qui a subi l’influence du retour à l’antique (gu wen ) de Han Yu, où l’expression est empreinte de clarté et de force. On a de lui, dans le recueil de ses œuvres, plus de deux cents dissertations sur des sujets historiques: c’est probablement de son père qu’il tenait ce goût pour les discussions sur l’Antiquité, mais c’est aussi une mode du temps, instaurée par Han Yu et continuée par Ouyang Xiu. On possède également de Su Shi des notices ou mémoires sur les événements du temps, qui appartiennent à un genre moins artificiel, et surtout des lettres dont certaines, adressées à l’empereur, révèlent toute la noblesse de son caractère, malgré l’aveuglement dû à sa classe sociale, relatif au type de réformes qui auraient été nécessaires à l’amélioration de la classe paysanne.

Beaucoup moins nombreux, mais plus célèbres que les œuvres en prose déjà mentionnées, sont les fu , genre intermédiaire entre la prose et la poésie, que Su Shi a renouvelé complètement. Il en a en effet rapproché le style de celui de la prose, avec une fluidité de la phrase et un art de la cadence oratoire qu’on n’y trouvait pas auparavant. Mais en même temps il y a introduit beaucoup de saveur poétique, faite d’un sentiment très vif de la nature, de la vie des choses, de la présence de l’homme dans cet univers mystérieux qui le transcende.

L’œuvre poétique, abondante, fait de Shu Shi le plus grand poète des Song et l’un des plus importants de toute l’histoire chinoise. Une des premières qualités de sa poésie est sa richesse descriptive, qui souvent, par des procédét impressionnistes, par un symbolisme dont l’emploi apparaît très neuf, tend à créer une atmosphère qui a plus de signification descriptive que l’énumération des objets soumis au regard. Cela est vrai, qu’il s’agisse d’une description de petites choses telle «la fleur du saule» ou de paysages tel «le lac de l’Ouest», qu’il s’agisse de poèmes dans la forme de chansons (ci ) ou de poésies classiques (shi ). En voici un exemple, emprunté à l’Anthologie de la poésie chinoise classique de Paul Demiéville et intitulé: «Écrit sur la peinture d’une branche coupée»:
DIR
\
Les bambous maigres ressemblent à des ermites; La fleur discrète est comme une vierge, Le moineau sur la branche s’incline et se[redresse, S’ébroue et fait pleuvoir parmi les[fleurs.../DIR

La seconde qualité de la poésie de Su Shi, qu’a bien fait ressortir Yoshikawa K 拏jir 拏, est la largeur de vue de sa pensée philosophique, c’est-à-dire de sa conception de l’homme, par rapport à l’étroitesse du thème de la tristesse personnelle dans la poésie antérieure. Pour lui, la vie de l’homme fait partie d’un cycle général de la nature et, de ce point de vue, toute cause de tristesse peut être vécue comme l’annonce d’une joie et réciproquement. Cette conception prend sa source dans la philosophie taoïste, mais c’est peut-être la première fois qu’elle apparaît exprimée en vers:
DIR
\
... S’il n’y avait pas de séparation dans la vie, Qui saurait accorder à l’amour tout son prix?/DIR

Il ne s’agit pas d’un idéalisme facile qui cherche à prendre du bon côté tous les malheurs de la vie, ni d’un pessimisme pareil à celui de Du Fu qui s’indigne devant les misères sociales et ses malheurs personnels. Su Shi préfère adopter une attitude de détachement et d’optimisme tout à la fois, car, pour lui, la nature et l’univers ne sont pas nécessairement ennemis, mais sont en eux-mêmes amicaux pour l’homme. Celui-ci doit pratiquer moins la résignation à tout ce qui se présente pour lui qu’une sorte de résistance au mauvais sort par la force de la volonté. C’est ce qui se reflète dans des poèmes qu’il écrivit en prison, à un moment où il s’attendait à être condamné à mort. La postérité aimera en lui sa largeur et sa liberté d’esprit, en même temps que cette sensibilité et cet amour des hommes, du peuple ou, sur un autre plan, de celle qui fut sa compagne pendant les dernières années de sa vie. On lui reprochera une certaine facilité, un talent trop généreux qui se reflètent dans quelques œuvres. C’est le mauvais côté du génie!

Le peintre et le calligraphe

Lettré complet, Su Shi fut également un peintre et surtout un calligraphe. En peinture, il se spécialisa dans la représentation des bambous, où s’exerce une technique proche de celle de la calligraphie. Comme beaucoup d’artistes de son temps, il commence par faire la théorie de son art: «Pour peindre le bambou, il faut l’avoir entièrement en soi. Saisissez le bambou, regardez intensément [le papier], puis évoquez ce que vous allez peindre. Suivez votre vision, levez votre pinceau et poursuivez immédiatement ce que vous voyez.» Mais ailleurs il écrit: «Discuter de la peinture d’un point de vue de ressemblance formelle, c’est de l’enfantillage.» Car, ajoute-t-il encore, «peinture et poésie constituent originellement une seule et même discipline; la poésie et la peinture naissent de la même loi, de l’œuvre du ciel et de la spontanéité». Et enfin: «L’honnête homme promène son attention sur les choses, mais il ne s’y attache point.»

Théoricien de l’art dans beaucoup de courts textes de prose ou de poésie, Su Shi a aussi laissé un nom dans l’histoire de la peinture chinoise par ses peintures de bambous, bien que ce qui reste de lui actuellement ne confirme pas sa réputation, qui fut grande de son temps et dans les siècles qui suivirent.

Par contre, les calligraphies qui lui sont attribuées et semblent authentiques sont assez nombreuses pour admettre qu’il mérite d’être considéré comme un des «quatre maîtres des Song». Son art semble très libre, permettant à sa main de suivre les ordres de son cœur, sans souci des conventions. En fait, il ne suit aucun style établi, mais de sa calligraphie se dégagent une plénitude, un charme, une vigueur qui sont aussi les caractéristiques de sa vie.

Su Shi, Sou Che ou Su Dongpo
(1036 - 1101), lettré chinois; poète de la dynastie des Song (la Falaise rouge).

Encyclopédie Universelle. 2012.

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